FORET DU NOUVEAU
MONDE EN CHARTREUSE
Au-dessus de l’église de St-Thibaud-de-Couz, l’ascension en forêt offre
des échappées saisissantes sur l’étagement des falaises qui se dressent
au-dessus du sentier. Un torrent caracole maintenant sous un vieux pont
de pierre. Soudain, le chemin pénètre dans l’ombre d‘un sous-bois
illuminé par le vert des lichens. Le décor est fantastique: les arbres,
couverts de mousse, pareils à des vieillards ou des mendiants
échevelés, se penchent sur mon passage. Les pierres encapuchonnées de
mousselines vertes dessinent un immense jardin, hors du temps. Frôlant
les guenilles de sorcières hirsutes, je hâte le pas, presque inquiet.
Plus loin, le chemin côtoie une falaise, revient dans le vallon et
longe un muret de roches blanches ornées de mousse. Enfin, il se
transforme en une allée domaniale au bout de laquelle apparaît alors
l’alcove bleue du ciel: c’est la carrière du Planet. Le soleil illumine
une ancienne grange et, d’un coup de baguette magique, me rend à la
réalité: la tunique rouge d’un chasseur disparaît, à l’autre bout du
pré, dans l’ombre des bois. Je l’interpelle pourtant. Le jeune homme à
la forte carrure se retourne. Avisant son fusil, je demande en
plaisantant:
- Je ne risque rien avec les chasseurs, aujourd‘hui?
Il me considère en souriant, incrédule:
- Mais non.
Je lui désigne un chemin qui continue de monter dans la forêt:
- Le Corbeley, c’est par là?
- Oui. Vous continuez tout droit. Le chemin se transforme en sentier.
Plus loin, vous grimpez sur la droite, vous verrez.
Il est monté sur le rocher quand il était gamin. Depuis, il n’y est pas
retourné. Il lui reste un vague souvenir de la petite escalade finale.
Ca m’a fait du bien d’entendre une voix. Depuis tout à l’heure, la
solitude était devenue pesante. Après la forêt humide et escarpée, la
clairière froide et déserte. Et le silence.
Au sommet du Rocher, une deuxième voix. Une randonneuse, assisse en
plein soleil converse sur son portable, son mari peut-être. Nous
échangeons quelques mots. Elle habite à Cognin et connaît très bien,
cela va de soi, la Chartreuse. Elle doit avoir une cinquantaine
d’années. Ses commentaires sur le massif, son visage buriné et sa tenue
vestimentaire (pantalon maculé de boue, chaussures en cuir) trahissent
la baroudeuse. Tout en grignotant une friandise, elle contemple les
cimes enneigées de Belledonne. Elle prend son temps, respire son
bonheur. Je la laisse à sa douce contemplation.
Perché sur le donjon du Corbeley, mon regard plane vertigineusement sur
la vaste plaine de Chambéry, le lac du Bourget, les Bauges, la chaîne
de Belledonne et le Mont Blanc. Vers la clairière, les aboiements des
chiens. Je redescends. Le soleil est repassé derrière les falaises, les
quelques plaques de neige qui subsistent à l’orée du bois deviennent
sombres, des brumes montent comme des fumées vers les parois
blanchâtres. Je dévale maintenant le sentier par endroits boueux,
glissant parfois sur les feuilles qui pourrissent et s’enroulent entre
les pierres, repensant au cadavre du renard étendu dans la clairière,
sous l’écriteau qui avertit les promeneurs: « Attention taureau ».
De nouveau, les verts épouvantails et leurs crinières de chanvre. Et
les galets tapissés d’émeraudes.
Sur le tertre gazonné de l’église, deux enfants jouent au ballon. Le
soleil brille sur le goudron encore mouillé.
Alain Lutz
Photos
de la sortie
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