PIERRES A CUPULES ET ROCHES GRAVEES EN SAVOIE



pierres à cupules

C’est au cours de la seconde moitié du 19° siècle que l’attention des chercheurs a été attirée par les manifestations humaines graphiques ou picturales dans des grottes ou sur des rochers de plein air.

En Savoie les premières observations et publications on eu pour objet les pierres à cupules et à bassins facilement repérables étant donné la profondeur de leurs « sculptures » comme l’on disait parfois à l’époque. C’est ainsi que dès 1878 Louis Revon donnait un inventaire presque complet des pierres à cupules de la Haute-Savoie et que Florimond Truchet en décrivait un certain nombre d’autres en Maurienne.
Il faudra attendre le grand élan archéologique de la première décennie du 20° siècle, et notamment le congrès préhistorique de France à Chambéry en 1908 pour avoir un gros complément d’informations.

Les figurations de pieds et de mains.

Les « pierres aux pieds » qui semblent être l’apanage de la Maurienne y sont abondantes car elles se retrouvent dans la plupart des sites importants de haute altitude depuis St Michel de Maurienne jusqu’à Bessans, à l’exception de la zone interne du PNV. Il n’en va pas de même pour les figurations de mains qui sont beaucoup plus rares (8 exemplaires inventoriés contre près de 250 pour les pieds).

En général groupées sur un seul rocher par site, les figurations de pieds se présentent sous trois factures différentes : profondément piquetées en creux jusqu’à une profondeur pouvant atteindre 25mm, simplement piquetées à fleur de rocher sans profondeur mesurable, ou tracées au contour comme les autres gravures. Les pieds sont représentés isolés, pied gauche ou pied droit ou par paires. De taille moyenne beaucoup plus petite que celle du pied d’un adulte de l’époque actuelle, elles présentent certaines particularités dans leur style. C’est ainsi que les paires de pieds en creux sont souvent accompagnées d’une cupule ou d’une barrette au milieu ou à la partie antérieure des pieds. Les pieds au contour sont parfois ornés d’une sangle marquant le talon. Certaines paires de pieds au contour peuvent même être accolées.
Une importante remarque est à faire sur l’association des pieds et des cupules : les pieds en creux sont toujours accompagnés de grosses cupules alors qu’il en est très rarement ainsi pour les pieds à fleur de rocher ou au contour. Cette association est particulièrement visible sur les deux plus grandes pierres aux pieds de la vallée : la pierre du Pertuit, au Thyl, avec ses 62 pieds dont 12 paires, 160 cupules et 2 bassins, et la pierre aux pieds de Pisselerand à Lanslevillard, qui présente 82 pieds dont 35 paires et plus de 80 cupules. Cela amène à penser que ces deux pierres sont contemporaines des grandes pierres à cupules, d’autant plus que leur situation est identique : position dominante et paysage très dégagé.

Ces empreintes profondes de longueur comprise entre 16 et 26 cm avec une très forte moyenne de 23 cm, pour autant qu’elles correspondent à un échantillonnage de la population, laisseraient supposer la présence d’une race de petite taille, telle que celle apparue au Néolithique dans le massif alpin. S’il ne s’agit que d’empreintes de pieds d’enfants ou d’adolescents, la présence d’une race de taille comparable à celle que nous connaissons actuellement prévaudrait, avec, comme hypothèse, l’utilisation de ces rochers comme lieux de cérémonies initiatiques et de rassemblement cultuel.

L’orientation globale vers l’est des pieds de la pierre aux pieds de Lanslevillard a conduit certains auteurs à voir là les traces d’un culte du soleil levant. Un récent examen statistique de l’orientation de l’ensemble des empreintes de pieds semble devoir attribuer ces manifestations à un culte, au sens large du terme, des sommets et des glaciers visant à obtenir leur protection ou leu
pierres à cupulesr clémence. Ce pourrait être un des aspects du culte de la nature qui apparaît dans les concepts spirituels des populations protohistoriques, notamment à l’Age du Fer. Mais un certain nombre d’observations concernant des pieds au contour tracés en association directe avec des noms des prénoms ou des dates permettent de dire que cette tradition a perduré jusqu’à la fin du 18° siècle.

Les figurations humaines.

Localisées dans un seul site au-dessus de Lanslevillard, ces figurations humaines de grande taille, 1.20 m à 1.50 m de long sont accompagnées de gravures schématiques comportant surtout des marelles et des rouelles. La suite commence au dessus des chalets de l’Arcelle-Neuve, pour se terminer à la base des éboulis issus du signal du Grand Mont Cenis. Sept dalles comportent de telles gravures.

Les figurations d’outils.

Des figurations d’outils n’ont été trouvées que sur une seule dalle, la pierre de Linchaplour à proximité du village de Lanslevillard, en association avec un ensemble de gravures schématiques. Exécutées en piquetage différend de celui de ces dernières, elles semblent avoir été tracées postérieurement. On peut y reconnaître un groupe de deux doloires, outils de charpentier, et un autre groupe d’outils métalliques allongés accompagnés d’un soufflet évoquant le métier de forgeron. Cette dalle est d’ailleurs un bon exemple des thèmes du serpent et des méandriformes, composition dans laquelle sont imbriquées des figurations de pieds piquetées à fleur.

Les gravures utilitaires.

Il faut enfin signaler les gravures utilitaires qui sont de deux sortes dans cet ensemble de gravures schématiques : les traits isolés ou groupés parallèlement par deux ou trois, appelés « onches », qui marquent les limites cadastrales de parcelles dans certaines communes de Maurienne, et les classiques triangles géodésiques avec point central présents un peu partout à la suite des nombreux travaux de captage des eaux effectués par EDF dans les massifs montagneux.

Les problèmes de datation.

La datation d’un art schématique de plein air se heurte à deux difficultés principales : l’impossibilité d’appliquer une méthode stratigraphique, et d’autre part l’absence dans cette décoration de la représentation d’objets typiques, armes poignards etc. Il existe d’autres méthodes de datation qui n’offrent pas une garantie absolue et qu’il est préférable de combiner entre elles.

> Résumé très brièvement le contexte archéologique de cette région est le suivant : si les vestiges du néolithique sont absents de cette haute vallée les périodes du néolithique final-chalcolithique et du bronze ancien sont présentes. Le bronze final est très abondant en aval d’Aussois, alors qu’il est totalement absent du basin de Lanslevillard.

Ce schéma de datation assez simple et cohérent mais n’offrant pas toutes garantie d’exactitude est malheureusement profondément perturbé par le fait que certaines de ces gravures ont continué à être tracées par tradition pendant des centaines d’années, et ce pratiquement jusqu’à la fin du 18° siècle malgré la christianisation et malgré les interdits de l’Eglise. Mais peut-être n’avaient elles pas alors la même signification qu’à l’origine. Cette dernière réflexion nous conduit à évoquer les difficultés rencontrées également dans le domaine de la signification de ces gravures schématiques.

Les problèmes de signification.

>pierres à cupules Ces représentations abstraites et hermétiques de certains concepts spirituels ou cultuels ne se prêtent guère à une analyse logique. S’il est acquis que le schématisme géométrique est à son apogée quelques siècles avant JC, à la période de la Tène, que dès la protohistoire ont surgi des cultes de la nature : cultes du soleil, des rochers, des sommets, des sources, on ignore cependant sous quelle formes ces populations pouvaient exprimer certaines idées philosophiques concernant la mort, la vie ou le monde qui les entourait. Mais toutes ces interprétations sont le fruit de réflexions d’esprits modernes et rationalistes qui ont beaucoup de mal à déchiffrer ces codes divers, et parfois changeants au cours des siècles. Nous devons donc nous résigner à rester dans une certaine incertitude en ce qui concerne la signification des gravures.

On perçoit d’ailleurs nettement dans les différents sites que, dès la fin du18° siècle la vague de nouvelles idées philosophiques sonne le glas de cette symbolique schématique de tradition orale, car seuls sont alors tracés des patronymes, des dates et des croix latines. Un silence de deux cents ans a mis fin à la transmission du message et il faut bien reconnaître que nous ne sommes plus aujourd’hui des initiés.

Texte composé de larges parties extraites d’un petit ouvrage intitulé , édité par la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie, Square de Lannoy de Bissy à Chambéry.
Gérant-responsable de la revue : Christian Sorrel.



Jean-Pierre Baudat




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